Article n°6 : Désir, plaisir et lave-vaisselle

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Selon un sondage Ifop (2019), 73% des femmes font plus de tâches que leur conjoint. Parmi ces dernières, 44% estiment en faire “beaucoup plus” et 29% “un peu plus”. Ce sont les femmes que je reçois en consultation, elles ont ajouté “consulter une sexologue” sur leur liste de choses à faire. Elles m’interrogent sur un écart de désir, je leur répond par la répartition de la charge mentale (entre autres). Je vous explique.

Charge mentale, n.f. :

La charge mentale ménagère (ou domestique) est un principe de sociologie traitant de la charge cognitive portée par les adultes, souvent les femmes, dans le cadre de la gestion du foyer au quotidien

Exemple de dialogue intérieur

“Il ne faut pas que j’oublie de vider le lave-vaisselle” “Il n’y a plus rien dans le frigo, ah si, il me reste un butternut dans le congel” “J’espère que les enfants ne nous entendent pas” “Je me demande si la machine a fini de tourner” “C’est quand même bizarre cette convocation par la maîtresse” “Il a encore son poil sur l’épaule, j’ai pourtant l’impression de l’avoir enlevé il y a si peu” “Non mais, je dois apprendre à lâcher prise” “Ça me fait du bien là ou pas ?” “Pourquoi je n’ai pas d’orgasme ?” “Peut-être que je suis cassée.”

… Voici l’exemple d’un dialogue intérieur lors d’un rapport sexuel. On comprendra bien que lors de ce rapport, le plaisir sera limité voire inexistant. Car si tenté que les stimulations soient appropriées et efficaces (et c’est loin d’être tout le temps le cas), nous ne jouissons pas qu’avec nos organes génitaux mais avant et surtout avec nos cerveaux.

 
Penser et prendre du plaisir ne sont pas des activités qui peuvent s’articuler ensemble de manière fluide. 

Le syndrome des pâtes bolognaises

Vous êtes invité.e à un repas chez votre grand-mère préférée. Mais si ! Vous savez, celle qui a des origines italiennes et qui excelle dans l’art des fameuses pâtes bolognaises. Mais ce jour-là, vous n’étiez pas au courant qu’elles étaient au menu. Et vous êtes habillée en blanc.

Je vous défie de profiter, à leur juste valeur, de vos pâtes bolognaises qui retombent avec élégance dans la sauce, sans manquer de menacer la blancheur de ce nouveau pull en cachemire, encore immaculé.

Elle avait pensé à la tenue adéquate

C’est impossible, du moins, tant que vous ne vous serez pas couverte ou que vous empruntez le bon vieux gilet de Mamie qui ne se laissera pas effrayer par deux trois gouttes tomatées.

Vous avez l’idée : si votre tête bouillonne, alors votre corps peinera à se connecter à ses sens. À la sensorialité au sens premier du terme. Et vous avez cette idée là aussi : si pas de connexion aux sens, pas de plaisir.

Pas de plaisir, pas de plaisir

Le tryptique gagnant de la sexualité se compose de :

      • Le désir, soit la motivation, l’envie d’avoir un rapport sexuel,
      • L’excitation, soit les signes physiologiques du désir (ex : lubrification, augmentation de la chaleur corporelle…)
      • Et le plaisir, qui parle de lui même

    Ces trois éléments fonctionnent ensemble. Si le désir est profondément présent, l’excitation pourra monter en toute quiétude, et si l’excitation et le désir se combinent, alors le plaisir pourra prendre la place qu’il mérite.

    Et dans l’autre sens : si l’on ne ressent pas de plaisir lors des rapports, alors quel est l’intérêt pour notre cerveau d’y retourner avec enthousiasme, de créer du désir, et de stimuler l’excitation ?

    Pas de plaisir, pas de plaisir

    Pas de plaisir, pas de plaisir

      Le truc, c’est qu’on ne fait pas l’amour que par plaisir. On le fait aussi :

          • par convention,
          • parce qu’on est en couple,
          • parce qu’on veut faire plaisir à l’autre,
          • pour se reproduire,
          • pour plaire,
          • conquérir,
          • pour faire comme dans les films,
          • pour être normal.e.

        On en vient à oublier son propre plaisir, et pour de trop nombreuses femmes : on se force.

        Se forcer + ne pas avoir le temps + avoir la pression : le combo perdant

        Le cerveau est là pour vous protéger. S’il sent que vous vous forcez, que les rapports sont même parfois douloureux et que par dessus le marché, vous n’avez pas le temps : il va tout faire pour vous faire éviter la sexualité. Et il a bien raison, vu que dans tous les cas, quand cela arrive, ce n’est même pas pour se faire du bien.

        Lâche toi du lest !

        Les facteurs de la charge mentale, du stress et de la pression (notamment par le ou la partenaire) sont les pires ennemis du désir sexuel. Et c’est pourtant le lot de bon nombre de femmes aujourd’hui, surtout dans les couples hétérosexuels. Ce sont les mêmes qui consultent pour une baisse, une absence et/ou un écart de désir sexuel.

        Oser répartir la charge mentale

        Seulement, on ne peut pas tout porter. C’est impossible. Et celles qui portent tout le payent par ailleurs : stress, anxiété, burn-out, insomnies, vie qui passe à toute vitesse mais qui ne permet de ne profiter de rien. Et devinez où cela se ressent le plus ? Dans la sexualité, qui est un véritable zoom de nos individualités et du couple.

        Nous héritons de milliers d’années de patriarcat. C’est féministe de le dire, mais c’est surtout réaliste. Nos mères, nos grand-mères, nos arrières ont porté la charge du foyer et plus tard, se sont ajoutées à cela, la charge du travail et bien sûr, celle d’être la femme sexy et désirée.

        Répartir la charge mentale et les tâches ménagères est indispensable pour la santé mentale des femmes, l’équilibre du couple et par conséquent : pour une sexualité épanouie. La sexualité fait partie d’un système, elle n’est pas une antichambre qui s’affranchit de tout ce qui se passe au quotidien.

        Quelques pistes pour répartir la charge mentale

        • Se faire aider dans le cadre d’une thérapie de couple :
              • Au Club Kamami ou auprès d’un(e) autre sexologue non médecin / thérapeute de couple,
          • Insuffler une dynamique de changement et donc accepter le déséquilibre temporaire de l’ordre établi.
          • Constituer le couple en tant qu’équipe solidaire pour mener à bien ce changement

          Et le désir alors ?

          Je viens de faire un zoom sur l’impact de la charge mentale et d’une répartition déséquilibrée des tâches sur le plaisir. Elle a aussi une action négative sur le désir, notamment lorsque les tâches sont mal réparties :

              • On ne trouve pas le temps d’avoir des rapports (hors le désir a besoin d’espace pour s’exprimer, et donc de temps pour soi, de temps libre),
              • Une telle charge implique du stress, de l’anxiété et l’hygiène de vie personnelle est touchée,

            Ce n’est donc pas que le désir sexuel qui est touché, c’est la libido en général (pour la différence entre libido et désir, je vous écrirai bientôt, ou j’explique tout dans mon livre Sexplorer le désir ou sur ce post insta en collab avec la maîtresse des lettres, Sophie Jasselin)

            On ne peut pas tricher avec la question de la charge mentale.

            On ne peut pas tricher avec le temps pour soi.

            On ne peut pas tricher avec la répartition des tâches ménagères.

            À la manière d’une randonnée Cela peut paraître insurmontable de changer un système “fonctionnel”, cela peut paraître désagréable (oui, jusqu’ici, nous avons été éduqué ainsi et il y aura indéniablement une sortie de zone de confort). Mais tout comme les randonnées en montagne : petit pas après petit pas, accompagné.e d’un(e) guide ou non, on gravit jusqu’à admirer la vue, plus uni(e)s que jamais. 

            Et surtout, prenez soin de vous.

              Diane Deswarte, sexologue et fondatrice du Club Kamami.

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